C’est Halloween!! L’année dernière, j’avais décidé de faire une « spooky week » où chaque jour, je mettais en avant des films liés à la période. Ceci étant dit, je n’avais pas envie de refaire la même chose cette année, je voulais à la place prendre un film et en parler en détail, faire une petite analyse. Le choix du film a été difficile, parce qu’il y a beaucoup de films d’horreur que j’aime qui serait très intéressant d’explorer en détail. J’ai failli choisir Ready or Not parce que c’est l’un de mes films préférés mais finalement, j’ai choisi l’un des films d’horreur les plus connus du monde : Shining.
Ah Shining. Peu de films ont autant fait couler d’encre que Shining. Le film fait l’objet de milliard de théories, certaines très intelligentes, d’autres plus… originales. Je veux dire, combien de films peuvent se vanter de fasciner le monde au point où quelqu’un a fait un film documentaire sur les théories sur le film? A en croire les gens, Shining est un mystère total et aussi une confession caché de Stanley Kubrick concernant son implication dans le faux alunissage (ceci n’est PAS une blague, c’est une vraie théorie).
C’est un peu cette aura qui m’a donné envie d’écrire cet article. Non pas que je puisse prétendre avoir la vérité absolue. Je pense qu’il peut y avoir plusieurs interprétations de ce film. Ceci étant dit, je pense aussi que l’aura autour de ce film est un peu exagérée parce que le film a quand même un message assez évident. Kubrick se balade un peu avec cette réputation d’Auteur™ qui fait des films remplis de messages cachés mais la vérité c’est que ce n’est pas si complexe… Je ne peux pas parler pour TOUT ces films mais la plupart de ces films ont des sens de lecture assez évident, du moins sur le sens premier. Docteur Folamour est un film sur la Guerre Froide et l’absurdité de la course au nucléaire (qui n’est au final qu’une course vers notre propre anéantissement). Orange mécanique parle de la violence de l’individu et la violence de la société et de la place du libre arbitre dans tout ça. Full Metal Jacket est avant tout un film extrêmement critique sur la guerre du Vietnam et l’institution de l’armée américaine. Il y a évidemment certains de ces films dont j’ai du mal à voir une interprétation évidente (genre 2001 l’Odyssée de l’espace ou Eyes Wide Shut) mais je pense qu’on a tord de voir Kubrick comme quelqu’un dont les films sont toujours incompréhensibles sans chercher à fouiller trop loin. Quand Kubrick veut faire passer un message en particulier, il n’est pas forcément particulièrement subtile. Et ce n’est pas une critique : il n’y a pas plus de mérite à faire un film obscur qu’à faire un film qui sait ce qu’il a à dire.
Pour moi, les milliards de théories sur Shining, c’est vraiment l’illustration de l’expression anglais « not seeing the forest for the trees » (qu’un pourrait traduire par « ne pas voir la foret pour les arbres ») : les gens sont tellement obnubilés à analyser les moindre détails qu’ils en loupent un peu le sens principal du texte. Ce qui est dommage parce que je pense que le message premier du film est ultra intéressant et c’est ce qui, pour moi, rend le film vraiment terrifiant.
Mais donc, quel est ce message? Et bien, comme pour Orange Mécanique, c’est un film qui parle de violence : de la violence de la société (américaine) et de la violence de l’intime et comment les deux sont forcément interconnectées. C’est en particulier un film qui parle de violence domestique.
Commençons par les éléments du films qui parlent de la violence de la société. Pour moi, c’est l’hôtel qui représente cette violence. L’hôtel est une sorte de microcosme de la société. Ses fondations mêmes sont bâtis sur la violence puisqu’on apprend au début du film que l’hôtel est construit sur un cimetière natif américain et que lors de sa construction il y a plusieurs attaques. Cette origine se retrouve plusieurs fois avec des éléments de décors : les boites de la marque Calumet dont le logo est une image d’un natif américain et dont le nom est également une référence à cette culture et les nombreuses décorations de l’hôtel qui font référence à cette culture. J’irais même jusqu’à dire que selon moi, le sang dans l’ascenseur est une représentation du génocide des natifs américains (c’était ma petite interprétation personnelle, c’est cadeau). Mais ce n’est pas la seule violence qu’on retrouve dans l’hôtel : des éléments de violences familiales sont présents avec le fantôme des jumelles et bien sûr le fantôme de Grady qui a tué ses filles et sa femmes ; de la violence raciale (encore une fois, Grady qui utilise le n word pour parler de Dick Hallorann). On sait que l’hôtel est rempli de fantôme et qu’il a sa propre volonté. Ce que je trouve intéressant, c’est que l’hôtel pousse ses habitants à devenir violents eux-mêmes : l’hôtel pousse Jack encore plus vers la violence tout comme il a probablement poussé Grady vers la violence. C’est ce qui fait que pour moi, on ne peut pas parler de la violence au cœur de film, la violence domestique, sans parler de la violence de l’hôtel avant tout. L’hôtel est une représentation de la société américaine et elle pousse ses membres vers la violence, elle l’encourage, elle la légitime. Jack est peut-être de base un homme violent (il a blessé Danny dans le passé), mais c’est l’influence de l’hôtel (aka de la société) qui l’encourage vers une violence encore plus extrême.
La violence domestique en revanche est impossible à rater, elle est au centre du film. L’intrigue après tout tourne autour d’un père de famille qui décide de tuer sa femme et son fils. Certes, il y a des fantômes au milieu de tout ça mais ça reste assez évident. Mais il faut noter que si Jack finit par aller dans les extrêmes de la violence, le film nous montre bien qu’avant même de venir à l’Overlook, la famille Torrence est loin d’être parfaite et Jack montre qu’il est abusif envers sa femme et son fils. On apprend dès le début du film (dans la version US, la meilleure version) qu’il y a eu un « incident » où Jack a blessé Danny, montrant qu’il a déjà une histoire de violence physique envers sa famille. Mais particulièrement, je trouve que c’est la relation entre Jack et Wendy qui montrent bien l’aspect violence conjugale. Certes, Jack n’est jamais physiquement violent avec elle avant la fin du film mais il est verbalement abusif. On le voit par exemple avec la scène où il engueule Wendy pour être venu le déranger. Il lui manque complètement de respect et la rabaisse, la traite comme une imbécile. Même lorsqu’il devient violent, on voit également tout cet aspect psychologique de la violence de Jack, il continue de se moquer d’elle. Et je trouve que l’attitude de Wendy face à son mari est très parlante, elle agit comme une femme victime d’une relation abusive : elle essaye de rationaliser la violence de Jack (dans la scène avec la docteur au début du film, elle minimise complètement l’incident), elle a besoin de se donner des paroles d’encouragement juste pour aller parler à Jack lorsqu’elle sait parfaitement qu’il ne va pas aimer ce qu’elle a à dire et elle semble toujours un peu marcher sur des œufs autour de Jack. Je trouve ça également assez parlant que Jack est celui qui est engagé pour prendre soin de l’hôtel mais en tant que spectateur, on ne voit que Wendy travailler, Jack est toujours dans son coin en train d’écrire. Et pourtant, Jack agit comme il était celui qui faisait le travail : lorsque Wendy suggère qu’il serait peut-être bien de partir parce qu’elle s’inquiète pour Danny, Jack lui rappelle qu’IL a été engagé pour ce travail et lui rejette la faute pour tout ce qui ne va pas dans leur vie. Rejeter ses problèmes sur Wendy est d’ailleurs une spécialité de Jack : il le fait également avec Loyd et avec Grady, où il la dénigre (il l’appelle « old sperm bank », un terme complètement déshumanisant) et critique ses actions (lorsque Grady dit que Danny est un « méchant garçon », Jack dit que c’est la faute de sa mère et qu’elle « s’interpose » entre Danny et Jack). Si on voit beaucoup moins de violence entre Jack et Danny avant la fin, on en a quand même des scènes qui semblent montrer que Jack n’est pas particulièrement un bon parent pour Danny. Évidemment, on a « l’incident » que j’ai déjà mentionné mais de façon général, Jack passe très peu de moment avec Danny. C’est toujours Wendy qui s’occupe de lui. Et on a la scène entre Jack et Danny dans la chambre. Pour rappel, Danny veut aller cherche un jouet dans la chambre et Wendy lui dit de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller son père. Mais lorsque Danny arrive dans la chambre, Jack est déjà réveillé. S’en suit une scène très inconfortable où on peut sentir que Danny est très mal à l’aise avec son père. Vraiment le film est rempli de moments où Jack montre des comportements violents envers sa femme ou son fils avant même qu’il se décide à prendre une hache.
Et le film montre aussi selon moi comment la violence de la société créé la violence domestique, comment elle la légitime. Jack est évidemment un mari et père abusif envers sa famille dès le départ mais l’hôtel le pousse à aller plus loin. Grady en particulier est la voix qui pousse Jack vers plus de violence et Grady était lui-même un père et mari violent qui a finit par tuer sa famille à la hache. La société peut faire semblant de condamner ce genre d’action mais en réalité, elle ne fait que l’encourager. Une société violente génère toujours plus de violence. Grady est un meurtrier, un père abusif mais au sein de la société de l’Overlook, il a conservé un rôle. Mais encore une fois, la société américaine est construire sur de la violence, comment s’étonner qu’elle ne puisse que continuer ce cycle vicieux? Comment s’étonner qu’une société qui ne cherche pas réellement à adresse le fond de ses problèmes soit condamner à répéter les mêmes erreurs et à continuer à donner le pouvoir aux hommes comme Jack. Après tout, Grady n’est jamais nommé comme un père abusif et violent. Son comportement n’est pas un défaut du système mais une tragique conséquence de ses circonstances, « cabin fever ». Pourtant lorsque Grady parle de son crime, ce n’est pas ce qui ressort : il parle de « discipliner » ses enfants et sa femme. La société minimise la réalité du crime de Grady et en retour, est incapable d’adresser le problème, ce qui ne permet que de le répéter à nouveau avec Jack.
Et sous cet angle, je trouve aussi que le changement de la fin par rapport au livre est assez intéressant. Dans le livre, l’hôtel explose et il est complètement détruit. Ça n’arrive pas dans le film, dans le film, l’hôtel est toujours debout à la fin. Le film n’a pas une fin complètement pessimiste car Wendy et Danny arrivent à s’échapper, il y a un espoir pour que les individus de cette société puisse survivre à cette violence. Mais la société reste en place, prête à détruire d’autres familles. Et Jack finit assimilé à l’hôtel puisque la société est toujours prête à redonner un nombre infini de chances aux hommes comme Jack. Les victimes ont survécu mais la société et sa violence sont toujours présents.
Après, je pense que je ne peux pas complètement parler de ce film et de son message sans parler de l’énorme contradiction dans sa conception. En effet, on a un film qui parle de la violence de la société et comment elle devient une violence domestique et en particulier, on parle de violence faite aux femmes. Et pourtant, le film est également connu pour le traitement absolument horrifique que Stanley Kubrick a réservé à Shelley Duvall, qui joue Wendy. C’est triste qu’un film qui semble aussi bien montrer les rapports de force de la société tombe dans les mêmes travers. Et il n’y a aucune excuse, il aurait été possible de faire ce film sans maltraiter Shelly Duvall. Ce n’est pas vraiment le propose de l’article mais je ne pouvais pas parler du film sans mentionner ça.
Voilà, c’était une rapide analyse de Shining. Comme je l’ai dit, il est probablement possible de voir d’autres messages dans le film, je pense que beaucoup de films peuvent avoir plusieurs sens de lecture. Ceci étant dit, je pense aussi que cette manie de vouloir cherche un sens caché au film nous fait un peu passé à côté d’un message qui est assez évident et bien étayé par le texte du film. Parfois, on veut chercher loin et la réponse est sous nos yeux. Avant de voir Shining, j’avais entendu tellement d’histoires sur ce film qui était supposément compliqué à comprendre et rempli de messages cachés. Quelle a été ma surprise quand je suis sortie du film en me disant que vraiment, il y a un sens de lecture assez évident. Et tous mes visionnages par la suite m’ont juste permis de voir encore plus d’éléments de ce message qui m’a sauté aux yeux. Et je ne suis pas la seule parce que récemment, j’ai commencé à voir quelques youtubers (notamment anglophone) mettre en avant ce thème central. Mais malgré ça, la plupart des gens qui parlent de Shining préfèrent s’attarder sur des détails et inventer des théories compliquées.
C’est pour ça que je voulais faire cet article pour Halloween. Shining est probablement un film avec plusieurs niveaux d’analyse mais avant tout, Shining est un film sur la violence de la société, la violence domestique et comment ces deux violences sont intrinsèquement liées.
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